Nos héros sont morts ce soir
France : 2013
Titre original : Nos héros sont morts ce soir
Réalisateur : David Perrault
Scénario : David Perrault
Acteurs : Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins, Constance Dollé, Philippe Nahon, Yann Collette
Distribution : UFO Distribution
Durée : 1 h 37
Genre : Drame
Date de sortie : 23 octobre 2013
3,5/5
Son diplôme de la FEMIS en poche, section scénario, et après quelques court-métrages, le trentenaire David Perrault réalise son premier long métrage avec Nos héros sont morts ce soir, présenté à la Semaine de la Critique de Cannes 2013. Un film en Noir et Blanc, sans grande vedette, un film à la fois nostalgique et moderne.
Synopsis : France, début des années 60. Simon, catcheur, porte le masque blanc, sur le ring il est « Le Spectre ». Il propose à son ami Victor, de retour de la guerre, d’être son adversaire au masque noir : « L’Équarrisseur de Belleville ». Mais pour Victor, encore fragile, le rôle paraît bientôt trop lourd à porter : pour une fois dans sa vie, il aimerait être dans la peau de celui qu’on applaudit. Simon suggère alors à son ami d’échanger les masques. Mais on ne trompe pas ce milieu là impunément…
Catch et cinéma
Entre sport et théâtre, le catch, version plus ou moins scénarisée de la lutte, n’arrête pas de disparaître et de renaître. Redevenu très populaire dans de nombreux pays tel le Mexique, il peine à retrouver en France le lustre qu’il a eu dans les années 60, à l’époque où Roger Couderc commentait à la télévision les combats de l’Ange Blanc et du Bourreau de Béthune. C’est d’ailleurs une photo de l’Ange Blanc prise dans les années 60 qui a fait naître chez David Perrault l’idée de réaliser un film dont l’action se déroulerait dans ce milieu du catch et pendant cette époque charnière entre l’immédiat après-guerre et la France d’aujourd’hui, plus précisément entre la guerre d’Algérie et l’émergence de la contre-culture des années 60. Une époque également importante pour le cinéma français puisqu’elle voit l’émergence de la Nouvelle Vague face au cinéma de la « qualité française », une époque qui voit la sortie de A bout de souffle en 1960 et celle de Jules et Jim en 1962. Nos héros sont morts ce soir raconte donc l’histoire de deux amis, Simon et Victor. Simon est catcheur, et, avec son masque blanc, il joue dans ses combats le rôle du gentil sous le nom de « Le Spectre ». Victor, lui, a été dans la légion en Algérie et, lorsqu’il revient de cette guerre, Simon lui propose de jouer face à lui le rôle du méchant, masque noir, nom évocateur : « l’Équarrisseur de Belleville »! Un rôle que Victor, au bout d’un moment, ne supporte plus, ce qui va amener Simon et Victor à prendre une décision qui ne sera pas du goût de Tom, leur patron, un individu qui fait partie du milieu de la pègre.
Le goût du mélange
Avec Nos héros sont morts ce soir, David Perrault signe un film totalement hybride : lui qui regrette que le cinéma français contemporain fasse la part trop belle au naturalisme a choisi de mixer le réalisme fantastique avec la Nouvelle Vague et les films noirs de série B du cinéma américain. On y croise donc des plans dignes de Franju et, très souvent, une atmosphère de film noir de la RKO. C’est d’ailleurs le titre français d’un film de cette compagnie qui a inspiré David Perrault pour donner son titre à son film : Nous avons gagné ce soir de Robert Wise, un film de 1949 qui raconte l’histoire d’un boxeur qui désobéit à ses managers … Dans ces conditions, le choix du Noir et Blanc était une évidence. Un Noir et Blanc numérique, très pur, qui renforce de façon très naturelle la dimension onirique du film. On se doit d’ailleurs de citer le nom de celui à qui on doit cette grande qualité de l’image et de la lumière : Christophe Duchange.
Question de rôles
Nos héros sont morts ce soir est, par l’intermédiaire du catch, une métaphore du théâtre et du cinéma tout en étant une métaphore de la vie réelle. Mélange de scénarisation et d’impondérable, utilisation de costume et de posture, le catch est proche d’un certain cinéma. Dans les années 60, il était d’ailleurs courant d’entendre ce raccourci qui se voulait péjoratif : « le catch, ce n’est pas du sport, c’est du cinéma » ! Quant au fait de combattre masqué, n’est-ce pas ce qui se passe quotidiennement sur les réseaux sociaux avec ces tweets assassins et … anonymes. N’est-ce pas également ce qui se vérifie depuis la nuit des temps : vos origines, la vie vous octroient un rôle dont il est le plus souvent très difficile de sortir. Simon n’est pas plus gentil que Victor, mais les circonstances ont fait que, sur le ring, c’est Simon le gentil et Victor le méchant. Vouloir changer les rôles peut s’avérer dangereux. Pour interpréter les personnages de ce film dans lequel les femmes ont un rôle moins important que les hommes mais montrent plus de jugeote, David Perrault a réuni une brochette de comédiens plus habitués aux seconds rôles qu’aux premiers. Des comédien(ne)s qui font tou(te)s partie de cet immense réservoir d’excellents acteurs qui fait la force du cinéma français : Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins, Constance Dollé, Philippe Nahon, Pascal Demolon, Yann Collette, des comédiens qui ont une « tronche » qui fait qu’on ne peut manquer de les remarquer même quand leur rôle est réduit à la portion congrue. Ici, dans des rôles forcément plus conséquents, ils ne se privent pas de montrer toute l’étendue de leur talent.
Résumé
En cherchant bien, on peut trouver des défauts au film de David Perrault, le plus évident étant la conséquence presque inévitable du choix consistant à embrasser plusieurs genres cinématographiques : un peu d’éparpillement, des idées insuffisamment exploitées. Toutefois, face à ce scénario très original, cette mise en scène et cette direction d’acteurs déjà très maîtrisées et cette qualité indéniable de la photo, force est de reconnaître que David Perrault fait partie, dès son premier long métrage, des réalisateurs prometteurs de sa génération.